Le roi trompé. (conte basque).

Il était une fois un homme qui avait le diable au corps. C'était un grand ami du roi qui allait le voir très souvent.

Un jour que le roi était annoncé, il dit à sa femme : « Nous devrions aujourd'hui faire quelque chose de prodigieux pour l'arrivée du roi. » - Certes, elle le voulait bien elle aussi, répondait la femme. Tandis qu'ils sont à leurs combinaisons tous les deux, ils voient venir le roi et son épouse. Pris de court et n'ayant plus le temps d'improviser, notre homme, tout à coup, pense à la farce que voici. La marmite était devant le feu et bouillait gal, gal, gal ; il la saisit, la met au beau milieu de la cuisine et puis, aussitôt il éteint le feu.

Entrent le roi et la reine. « Bonjour » et « Bonjour à vous aussi ». Et, tout de suite, ayant avisé la marmite, le roi demande pourquoi cette marmite, qui bouillait au milieu de la cuisine ? Et l'homme, son ami, de répondre qu'ils ont là une marmite de leur façon. Ils la mettent au beau milieu de la cuisine, et, tous les jours, ils font ainsi la soupe sans feu du tout. Le roi ne voulait pas le croire. Mais l'homme le fait s'approcher de la marmite. Il enlève le couvercle et le roi put constater que la marmite était vraiment en ébullition.

Alors, se rendant à l'évidence, il demande que, par grâce, la marmite lui soit vendue. Aussi poliment que possible, notre homme lui répond qu'il aime mieux ne pas la vendre : elle est toute leur ressource, ils ne seraient rien sans elle. Le roi de répliquer qu'ils ne manqueraient de rien ; il leur donnera autant d'argent qu'ils voudront. Il faut qu'on la lui vende. A contre cœur, notre homme finit par vendre au roi la marmite.

La marmite à la main, le roi s'en fut avec la reine. Aussitôt rendu chez lui, il va à ses serviteurs et leur remet la marmite, avec ordre de la placer au milieu de la cuisine, après qu'on l'aura garnie de tout ce qu'il fallait. Ensuite, ils n'avaient plus à s'en occuper, la soupe se ferait elle-même, sans feu du tout.

Les serviteurs de répondre qu'ils feraient ainsi, de bien grand cœur.

Le lendemain, les serviteurs garnissent bien la marmite et la placent au beau milieu de la cuisine. Puis ils s'en furent chacun à son travail.

Un peu avant midi, ils regardent la marmite : elle est absolument comme ils l'ont laissée, sans ébullition intérieure du tout. stupéfaits ils se regardaient l'un l'autre, lorsque survint le roi, curieux de savoir les nouvelles de sa marmite.

Si quelqu'un fut stupéfait, ce fut bien le roi qui découvrait que l'homme, son ami, l'avait trompé.

De son côté, sachant de quoi il était coupable, notre homme n'était pas tranquille du tout.

Avec sa femme, il se disait qu'ils était perdus, cette fois : le roi viendrait à eux, et ils seraient sévèrement châtiés. Tout à coup, l'homme dit à sa compagne :

« Tiens, je sais ce que nous allons faire : voici. Demain, un peu avant l'arrivée du roi, tu vas te mettre contre la poitrine une peau de bouc pleine de vin ? Le roi commencera de gronder. Je dirai que c'est toi qui m'as trompé ; je n'aurais rien fait que ce que tu m'avais dit, toi... Puis alors je vais me mettre en colère et m'en prendre à toi. Comme si je le plongeais dans ton sein, je plongerai mon couteau dans la peau de bouc que voilà et tu tomberas, comme si tu avais été tuée. Puis je ferai croire au roi que je te ressusciterai par le moyen de ce sifflet. Tu auras seulement à remuer une jambe au premier sifflement, l'autre jambe ensuite au second sifflement ; et à la troisième fois, tu te lèveras.

« Oui, oui, ainsi ferai-je, et puisse le roi ne pas nous châtier ! »

Comme ils l'avaient craint, le lendemain, le roi leur arrive en grande colère. Il entre, et, tout de suite, prend à partie le malheureux.

« Il l'a trompé avec sa marmite ! Se moquait-on ainsi d'un roi ? » Et il ne s'arrêtaoit pas de lui en dire, de lui en dire...

A son tour, notre homme fait comme s'il était irrité lui aussi, contre dsa femme : tout vient de sa faute. Et, dans sa colère, il plonge son couteau dans le sein de sa femme. La pauvrette tombe, comme si elle venait d'être tuée... Terrifié, le roi demande à l'homme s'il sait bien ce qu'il fait. Il ne devait pas accomplir un forfait pareil ! Et le roi était dans la désolation.

Alors notre homme lui dit que, s'il le désirait, il allait d'un sifflement ressusciter sa femme - « La ressusciter, vous,d'un sifflement ?... Je ne le crois pas »

« Vous ne le croyez pas ? Tenez, vous allez voir tout de suite. »

Notre hommme prend son sifflet. Il en tire un premier sifflement : et la femme remua une jambe. A la deuxième fois, elle remua l'autre jambe. Au troisième coup... elle se redressa debout devant lui...

Le roi demeurait stupide devant le mystérieux sifflet. Il demande que par grâce, ce sifflet lui soit vendu. Et notre homme de refuser catégoriquement. Ils avaient eu déjà assez d'ennuis, et il ne vendrait pas le sifflet.

Mais le roi ne lui laissait pas de repos, demandant et redemandant qu'on le lui vendît ? Il donnerait autant d'argent qu'il lui en serait demandé... L'homme finit donc par vendre le sifflet contre beaucoup d'argent, et le roi s'en fut à la maison.

Le lendemain, le roi et la reine allèrent dans la rue. Et lorsqu'ils furent rendu au milieu de la ville, le roi plongea son couteau dans la poitrine de la reine, et la pauvre reine tomba raide morte.

Tout le monde était consterné, quand le roi leur dit de ne pas avoir peur : tout de suite, il allait la faire revivre. Il tire son sifflet, et il en siffle une première fois. Mais la reine ne remua point. Une deuxième fois, il joue, mais rien ne remue encore. Alors il siffle, il siffle jusqu'à finalement en désespérer, et il se rend compte que la reine est morte et bien morte. On devine tout le désespoir du roi.

Cette foisi il ne veut pas aller lui-même chez le coquin ; il a peur d'être encore joué. A ceux qui sont sous ses ordres il prescrit qu'on enferme l'homme dans un sac et qu'on le jette à la rivière. Ils s'en allèrent. Ainsi qu'avait dit le roi, ils l'enfermèrent dans un sac et s'acheminèrent vers la rivière.

Durant le trajet, laissant leur sac à la porte, ils entrèrent dans une auberge.

Pendant qu'ils s'occupaient à boire dans cette auberge, l'homme enfermé dans le sac perçut que quelqu'un s'en venait vers lui. Alors il se mit à crier : « Non ! Je ne veux pas, je ne veux pas ! » Le passant, s'étant approché, lui demande : « Qu'est-ce que vous ne voulez pas ? »

Et le coquin, enfermé dans son sac, de lui répondre : « On veut me marier avec la fille du roi. Mais moi je ne veux pas, et on me jette à la rivière ! » Alors, l'autre : « Mais mon ami, il vaut mieux que vous disiez oui ! » Et lui, toujours « Non ! »

L'autre de continuer : « Tenez, pour ma part, je dirais bien oui. Voulez-vous me ceder votre place ? » « Oui, oui, lui répond notre homme. Venez ici tout de suite. » Et ils firent comme ils avaient dit.

Celui qui s'était mis dans le sac était un berger. Notre coquin rassembla son troupeau, et il s'en alla.

Tandis qu'il cheminait avec les brebis, il se trouva face à face avec le roi... Celui-ci stupéfait, lui demande : « D'où viens-tu ? » « D'où je viens ?... De la mer... Ne m'y avez-vous pas expédié ? » « Oui, mais c'est que personne n'en revient jamais... Tu n'y a donc pas été toi ! » « Oui sire, oui, j'en viens, et même, c'est là que je tire ces brebis. Que si vous ne voulez pas me croire, venez avec moi. Quelques autres y sont allés aussi depuis moi. »

Le roi s'en alla donc au bord de la mer. Le pauvre berger venait d'y être précipité à l'instant même. Ils l'aperçurent qui se débattait dans l'eau et n'arrivait pas à s'y noyer.

Et le roi dit à notre homme : « En voilà un cependant qui ne revient pas en arrière ! » « Non, il est occupé à se choisir les brebis les plus belles. Il faut dépêcher, si vous voulez vous procurer un troupeau comme le mien !... »

Et sur ce, le roi sauta dans l'eau et il s'y noya.

 Jean Barbier, Légendes Basques, Elkar, 2011