Conte basque.

Marie-Valentin.

Il y avait une fois un homme et une femme très riches. Ils avaient eu une petite fille qu'ils avaient appelée Marie-Valentine.

Au bout de quinze ans, la mère étant morte, le père se remaria.

Mais la seconde femme se révéla très méchante pour la jeune fille. Un jour, tandis que le père était absent, la méchante femme tua un cochon qu'elle prétendit ensuite avoir été tué par Marie-Valentine.

Le père demanda donc à l'enfant si c'était bien elle qui avait tué le cochon ? - Elle de répondre que non !

Quelques jours après, la méchante femme tue encore une jument et dit à son mari qu'elle avait été tuée par Marie-Valentine.

Une fois de plus le père demande à l'enfant si c'était bien elle qui avait tué la jument ? - Elle de répondre que non !

Le père crut à nouveau son enfant, parce qu'elle n'était point menteuse du tout.

La haine au cœur, la femme dit alors à son mari :

« Je vois maintenant que tout ce qui est fait par Marie-Valentine vous paraît bon... »

Et la méchante femme, à la troisième fois, tua son enfant, car ils avaient un enfant du second mariage. Elle s'en fut ensuite à son mari en poussant les hauts cris, et, ainsi que toujours, mettant le tout sur le compte de Marie-Valentine.

Le père lui ayant encore demandé si c'était bien elle la coupable, Marie-Valentine lui dit que non. Mais cette fois, exaspéré, le père jugea que sa fille aînée n'était plus bonne qu'à commettre des crimes. Sous le coup de la colère, il ordonna à Marie-Valentine de mettre ses deux mains sur une table, et, avec un grand coutelas, il lui en coupe tous les doigts. Et puis il la chasse de la maison : elle s'en ira où elle voudra.

Le jeune fille criait, pleurait. Les mains en sang, elle demandait quelque linge, de quoi tout au moins panser les blessures effroyables !...

Le père l'expulsa brutalement. Et Marie-Valentine alors, en s'éloignant de la maison, dit à son misérable père :

« Puissiez-vous vous enfoncer une épine dans la main, et puissiez-vous ensuite ne pouvoir la retirer avant que je ne sois revenue, moi, à la maison ! »

Et, se traînant, toute en sang, la malheureuse jeune fille s'éloigna.

Allant, allant toujours en pleurs, elle finit par arriver le soir dans une forêt sombre, et, trompée par l'obscurité, elle tombe dans une grand trou. Ayant les doigts tranchés, en aucune manière elle ne pouvait se retier de là !

Il lui était impossible de s'accrocher à quoi que ce fût. Ainsi passa-t-elle une nuit effroyable, craignant les bêtes féroces et souffrant des souffrances indicibles dans ses mains ensanglantées.

Le lendemain, le roi du pays s'en vient avec ses chiens pour chasser dans la forêt.

Les chiens bondirent et entrèrent dans le grand trou où gisait Marie-Valentine. Et la pauvre enfant n'en fut pas peu effrayée ! Mais les chiens furent meilleurs que le mauvais père. Affectueusement ils léchent les blessures de la jeune fille, et il s'en vont...

Mais ce jour-là même, le valet du roi donna aux chiens leur pâtée. Sans rien en prélever pour eux-mêmes, les chiens la portèrent toute à Marie-Valentine, dans son trou, là-bas dans la forêt. Et ils répétaient ensuite le même manège tous les jours absolument.

Le roi s'inquiéta vite de voir que ses chiens allaient dépérissant. Et cependant, il les gavait comme jamais il ne l'avait fait ; il le croyait tout au moins.

Un valet, enfin, lui révéla que, toujours les chiens emportaient leur pâtée quelque part.

Le roi suivit donc ses bons chiens. Et qui fut stupéfait ? Ce fut le roi, lorsque, à la suite de ses chiens, il pénétra dans le trou de la sylve, et que, dans cette fosse il découvrit une jeune fille tout en sang !

Ayant tout appris d'elle, il emporta la malheureuse dans son palais royal. Et dans la suite il se prit d'une telle affection pour Marie-Valentine, qu'il la fit se marier avec son fils. Et les noces les plus belles se célébrèrent durant dix jours pleins.

Vite après, par malheur, le vieux roi mourut, et le jeune roi s'en fut à la guerre. Comme la reine-mère ahïssait beaucoup Marie-Valentine, la pauvre reine, à partir de ce jour, fut absolument malheureuse.

Or, dans le temps que le roi était à la guerre, et dès qu'il se fut éloigné de la maison, Marie-Valentine mit au monde deux enfants jumeaux, aussi jolis l'un que l'autre.

La mère, tout de suite, envoya au roi un message prétendant que la reine avait accouché, non pas de deux enfants, mais de deux chiens.

Le roi, mis en défiance, répondit aussitôt : que, chiens pour chiens, on veillât à bien les élever, jusqu'à son retour au palais.

Mais la méchante mère cacha le vrai message du roi. Elle dit à ses serviteurs que, par ordre du roi, il leur fallait tuer tout de suite la reine et ses deux enfants.

Quelle ne fut pas la peine des serviteurs ! Ils aimaient tant leur reine !... Ils s'en furent donc avec Marie-Valentine et ses enfants. Mais ils ne tuèrent ni la reine ni les pauvres princes. Sur les vêtements du Marie-Valentine ils adaptèrent deux vastes poches. Dans ces poches, ils placèrent les enfants, et puis ils laissèrent aller la reine, en la suppliant de fuir très loin, très loin !

Ensuite, ayant, sur place, tué trois de leurs chiens, ils en portèrent les cœurs à la reine qu'ils dupèrent absolument.

Les serviteurs au cœur bon à peine partis, la reine vit deux hommes qui venaient vers elle. De nouveau, elle eut peur. Mais elle ne tarda pas à se rassurer, car ces deux hommes étaient Jésus lui-même et Pierre qui allaient de par le monde.

Jésus s'approcha donc ? Et parce qu'il savait tout, il n'eut rien à demander à la reine. Affecteusement, il lui dit les paroles les plus réconfortantes. Il caressa les mains pitoyables, et, soudain, la reine vit repousser tous ses doigts.

Jésus, ensuite, leva la main. Et, au milieu de la forêt sombre, surgit tout à coup un beau palais entouré d'un joli jardin plein d'agréments. Même il remit à la reine une chèvre mignonnne qui lui donnerait du lait. Puis Jésus et Pierre s'éloignèrent. Mais, en s'en allant, Jésus prescrivit à la reine que, dans son intérêt, elle ne sortît jamais de son palais ; les doigts lui tomberaient aussi sûrement qu'elle aurait ainsi quitté le château.

Avant de s'éloigner, ajoutons-le, Jésus avait baptisé les deux enfants de la reine les appelant l'un le Soleil et l'autre la Lune.

Mais le roi finit par s'en retourner de la guerre. Et, tout de suite, on lui dit comment la jeune reine et ses enfants étaient morts depuis bien longtemps.

Le jeune roi fut dans la désolation ? Et, comme pour oublier son infortune, avec un compagnon il s'en fut par bois et forêts, ne cessant de chasser, ni de jour, ni de nuit.

Un soir, dans la grande forêt, ils s'égarèrent. Ayant aperçu au loin une lumière, ils furent vers cette lumière et se trouvèrent ainsi devant le palais de Marie-Valentine.

Ils demandèrent l'hospitalité pour la nuit, et la reine la leur accorda volontiers.

La jeune femme, du premier coup d'oeil avait reconnu le roi son époux ; mais lui n'avait pas reconnu la reine son épouse.

A tous deux elle offrit un beau souper, après quoi ils furent se coucher.

Tous les deux ils étaient recrus de fatigue et ils furent vite endormis.

La reine, alors, prit ses deux enfants et les mena devant le lit du roi. Puis, tout doucement, à voix basse elle leur révéla que cet homme était leur père lui-même qu'il leur fallait embrasser tout doucement. Et doucement, doucement, l'un après l'autre, ils lui donnèrent un baiser. Puis ils disparurent tous les trois.

Le roi ne se rendit compte de rien, parce qu'il dormait... royalement.

Mais son compagnon ne dormait pas. Ayant ainsi tout vu, il le dit au roi. Et ils convinrent tous les deux que, la nuit suivante encore, il leur fallait à tout prix revenir au même palais, pour y dormir.

Ils revinrent donc comme dit, et la nuit suivante ils feignirent de dormir. Mais, tandis que la reine étant encore devant le lit, occupée à faire donner le baiser filial, le roi prit Marie-Valentine par le bras. Sévèrement il lui demanda ce qu'elle faisait et qui elle était pour ainsi agir ?

La pauvre reine fut d'abord épouvantée. Mais ensuite, revenue à elle-même, elle confessa tout à son roi et seigneur. Au comble de la joie, le roi ne s'arrêtait pas d'embrasser ses enfants, d'embrasser son épouse aimée, qu'il croyait morte depuis longtemps.

Il leur demanda de s'en retourner avec lui au palais, sans tarder une minute. La reine-mère était morte depuis quelques mois déjà. Ils oublieraient tous les malheurs et vivraient parmi les délices.

Sans révéler encore de la menace faite par Jésus, la reine ne voulait pas s'éloigner de l'immense forêt. Elle avait peur, si elle sortait du château, de voir tomber ses doigts... Mais, en fin de compte, elle se rendit aux prières du roi et... au sortir même du palais – sans une goutte de sang néanmoins -, les doigts lui tombèrent.

Tandis qu'ils s'en venaient chez eux, au village où était née Marie-Valentine, ils virent rassemblés une foule de gens et s'enquirent de ce qui se passait. Il leur fut répondu qu'il y avait là un homme qui s'étant enfoncé une épine dans la main, ne parvenait pas à la retirer ?

Ayant absolument oublié qu'elle n'avait plus de doigts, Marie-Valentine s'en fut à eux et leur dit à tous :

« Laissez-moi faire, je vais la lui retirer, moi... »

« Vous ne le ferez pas, et personne n'y parviendra jamais.

« Eh bien tout de même... »

Elle s'approcha, étendit les mains vers l'homme, le toucha, et – ô prodige ! - ses doigts lui repoussèrent, et repoussèrent pour toujours !

Aussitôt , prestement, elle retira l'épine, et elle s'aperçut alors que cet homme était son père.

Le père fut pardonné et avec ce père, ils s'en furent au palais du roi. Ils y vécurent en plein bonheur, pendant dieu sait combien de temps.

Jean Barbier, Légendes Basques, Elkar, 2011.